16 Août 96

Jeux Paralympiques: la course aux rêves

original : http://www.humanite.presse.fr/journal/1996/1996-08/1996-08-16/1996-08-16-018.html

 

LES belles histoires et les happy ends en forme d'exploit qu'elles peuvent enfanter naissent souvent dans des rêves. Comme celui d'un médecin anglais, Ludwig Guttmann, intronisé depuis 'sir Ludwig'. Les jeux Olympiques, eux, soufflent, déjà, leur 11e édition. Obstiné, cet homme qui considère le sport comme un traitement médical, rêve de réunir des milliers de personnes paralysées pour LEURS jeux Olympiques. Un rêve, quoi! Mais, le 22 juillet 1948, le jour de l'ouverture des jeux Olympiques d'été de Londres, Ludwig Guttmann organise, dans son hôpital de Stocke-Mandeville (Grande-Bretagne), une épreuve de tir à l'arc entre seize hommes et femmes victimes de lésions à la moelle épinière. 'Pourquoi le sport? Pour éviter l'ennui à l'hôpital. Pour entraîner leur corps à réagir puis à agir, donc à revivre', tentait-il de convaincre.

Loufoque? Non, génialement fou ou tout simplement humain. Un homme est allé au bout de son rêve. Un rêve qui ramène dans la réalité, presque à la vie, des hommes et des femmes fauchés par un cruel destin. Des hommes et des femmes qui deviennent, à la force de leur volonté et de leur dignité, des sportifs. Des vrais sportifs. A part, certes, mais à part entière. Malheureusement, des sportifs encore en marge d'un mouvement olympique réticent à se commettre avec eux. Un mouvement olympique orchestré par son Comité international qui leur interdit son drapeau aux cinq mythiques anneaux. En 1960, à Rome (Italie), les jeux Olympiques des handicapés sont même rebaptisés 'paralympiques', compétition pour athlètes handicapés moteurs ou visuels. Le mouvement olympique refuse de prêter son appellation, financièrement bien contrôlée et juteuse. Olympique rime, de plus en plus, avec fric. Les athlètes handicapés, eux, n'en rapportent pas. Pis, ils en coûtent. Donc, on les tolère... loin des yeux et loin du coeur des grands décideurs du sport mondial. A part donc...

Quarante ans après le rêve de sir Ludwig, en octobre 1988 à Séoul (Corée du Sud), les jeux Paralympiques figurent dans le cahier des charges de l'ordonnateur olympique. Désormais, ils succèdent aux jeux Olympiques dans la ville hôte, sur les mêmes sites sportifs... mais, une bonne dizaine de jours après la clôture de ces derniers. Une fois que les médias ont plié portable et bagages...

En 1994, dans la foulée des jeux Olympiques d'hiver de Lillehammer (Norvège), le drapeau paralympique est contraint de gommer deux de ses cinq symboles. Des symboles qui ne représentent pas un anneau. Non, cinq symboles qui ont le mauvais ton de se diluer dans les pastels des couleurs olympiques. Et dont la forme laisse libre court à toute imagination, toute interprétation: pétales de fleur? gouttes d'eau? virgules? nuages? Peu importe le symbole, leur nombre indispose, pourtant le cinq est aussi le chiffre des doigts d'une main qui pourrait se tendre. Donc, ultime danger de confusion, d'utilisation considérée encore comme abusive! Aujourd'hui, l'étendard paralympique n'arbore plus que trois de ses symboles: un rouge et un bleu surmonté d'un vert représentant chacun la pensée, le corps et l'esprit.

Au fait, n'ont-ils pas oublié le coeur? Aussitôt remarquée, les bonnes âmes du mouvement olympique ont montré qu'elles en avaient un. Ainsi, il y a quinze jours, les vainqueurs des courses en fauteuil roulant (1.500 mètres pour les hommes et 800 mètres pour les femmes, deux épreuves de démonstration insérées dans le programme olympique d'athlétisme depuis 1988) ont reçu leurs médailles des mains poudrées de Mmes Samaranch et Nebiolo, respectivement épouses de Son Excellence le marquis Juan Antonio Samaranch, président du Comité international olympique, et du docteur Primo Nebiolo président de la Fédération internationale d'athlétisme. Ce jour-là, leurs grands hommes du mouvement olympique (donc 'sportif', non?) sans doute trop affairés à tenter d'humaniser leurs Jeux du centenaire et du cirque, ont délégué leurs épouses pour ce qu'ils semblent considérer comme une oeuvre de charité. Loin de leurs yeux, ces 10e jeux Paralympiques ont eu leur cérémonie d'ouverture cette nuit. Ces Jeux seront ceux de tous les records: 19 disciplines proposées à 4.800 athlètes venus de 120 pays.

Il y a cinquante ans, un docteur blanc, un homme de coeur, un frère de Martin Luther King, faisait un rêve. Un rêve qu'aucun mortel n'avait fait auparavant. Ce rêve, qui se réalise aujourd'hui, sur les collines rouges de la Géorgie, où les fils de la volonté, de la dignité et du coeur vont s'asseoir à la table de la fraternité, du droit à la différence.

 

CLAUDE HESSEGE

d'après : http://www.humanite.presse.fr/journal/1996/1996-08/1996-08-16/1996-08-16-018.html

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